Les écrits 
  
  
  Le monde 
lisible
Vouloir découvrir limage dans le tapis, 
  Henry James nous la dit, est toujours vain. Pas 
  davantage que dans une uvre littéraire 
  on ne saurait affirmer à propos du travail de 
  Maya Mémin avoir mis le doigt sur le secret qui 
  la pousse, depuis des années à graver 
  obstinément, dérobant ce que dautres 
  abandonnent ( et la liste est longue de ce dont on pense 
  pouvoir se délester sans dommage ), débris, 
  restes de soustractions courantes qui lui permettent 
  une plus savante équation : léquivalence 
  du temps et du monde avec, comme seule inconnue, le 
  hasard. Celui qui la mené en Asie où 
  elle a vécu cinq ans et doù elle 
  a rapporté la particulière sensibilité 
  à la lumière, le goût du papier, 
  de sa matière.
  Aux hasards successifs qui 
  jalonnent sa vie, comme toute vie, elle ne fait aucune 
  allusion directe. Mais ce qui limpressionne, elle 
  le grave : ne rien laisser échapper, garder 
  le mystère du rebut qui supplie. Aux drames, 
  petits ou grands, elle préfère la trame. 
  Elle nadmet que les paroles déblouissements, 
  taisant les composantes purement autobiographiques de 
  son uvre ; elle dit aimer dans la gravure, 
    leffacement de la couleur par le 
  rouleau, la presse qui écrase lencre et 
  efface le soi qui déborde
 
  Les débordements de Maya Mémin ne sont 
  pas de cet ordre mais dans les apparents aplats qui 
  ne demandent quà se redresser, telles les 
  maquettes que lon découpe selon les pointillés 
  pour reconstituer des volumes.
  Il semble en effet, 
  que les figures privilégiées, et ce depuis 
  quelle utilise comme matrice tout ce qui est à 
  sa portée ( zincs usés de toitures, plaques 
  offset dimprimerie, papier kraft armé de 
  ficelle, etc), ne servent quà envisager 
  la restauration du monde : carrés, rectangles 
  et demi-cercles sont les formes communes à tous 
  ses travaux, éléments de base assemblés 
  avec la même évidence, que ce soit pour 
  tailler un tee-shirt (tee-shirt soit/soie), bâtir 
  des pans de murs ( papiers/papiers), ou dessiner une 
  marelle (Césure). Toutes choses appelant la présence 
  humaine, cest à dire lidée 
  que se fait Maya Mémin de la verticalité. 
  Dès lors, son matériau de prédilection, 
  loin du papier couché, fait fonction denveloppe. 
  Nous sommes devant une uvre charnelle, gonflée 
  dimpulsions. 
  Une série récente 
  intitulée Linges rendus à la lumière 
  fertile* devient emblématique des préoccupation 
  de lartiste. Matières, transparences, formes 
  et influences orientales conjuguées parviennent 
  à donner un tout autre statut à des blouses 
  dhôpital en papier. Des blouses jetables, 
  dites à usage unique, dont sempare Maya 
  Mémin pour en retenir le terme et lui redonner 
  sa signification première, comme on redore un 
  blason. Uniques au point dêtre tenues dapparat 
  dans lesquelles il devient pensable de se glisser pour 
  esquisser des pas, tout comme la marelle suggère 
  le sautillement et lesbannières tendues le jeu 
  de la déambulation.
  Des bannières 
  que lon compulse comme des livres et dont le dos 
  serait la bande étroite, plus foncée ou 
  plus claire, rythmant le cercle chromatique. Car si 
  le noir était un hommage à Richard Serra, 
  les couleurs aujourdhui révèlent 
  ladmiration pour Mark Rothko. Mais lautorité 
  en matière de monochrome ne saurait être 
  suffisante ; ce serait oublier la manière 
  personnelle qua Maya Mémin daccueillir 
  chance et aubaines. Ainsi lusage des couleurs 
  typographiques de limprimerie Ouest-France qui 
  lui permet analogies et rapprochements géographiques : 
  le monochrome nest pas pour elle un concept abstrait, 
  il surgit des souks de Marrakech où les teinturiers 
  étendent leurs tissus, tout comme dun port 
  dOrient où claquent des voiles. Papiers 
  nobles ou papiers demballage, peu importe, pourvu 
  quils puissent se dérouler sans souci des 
  distances. Non pas mise à plat mais lisibilité 
  du monde offert par le truchement dune presse 
  et la grâce dun artiste.
 
 
*Maya 
Mémin, livre dartiste, poèmes de 
Jaques Josse Danielle Robert-Guédon
Danielle Robert-Guédon
  
 
  Maya Mémin est une artiste dont l'inventivité 
  ne laisse  pas de surprendre. Son point de départ 
  est donc essentiellement  la gravure, démarche 
  assez rare aujourdhui. Ceci, au fil du temps, 
  lui a assuré la fidélité de beaucoup 
  d'amateurs, un peu secrets eux aussi, et de nombreux 
  bibliophiles auxquels se sont très vite joints 
  poètes et écrivains délicats. Tous 
  sont fascinés par ses travaux sur la vibration 
  des encres, des noirs les plus intenses aux plus impalpables, 
  et plus inattendu lorsquon prononce le mot 
  "gravure", des couleurs qu'elle traite en 
  grands a-plats, quelle superpose au gré 
  dune harmonie quelle sait faire naître 
  de la rencontre de tel ou tel matériau, du plus 
  monumental morceau de zinc à la plus fine feuille 
  darbre ou plume, qu'elle recueille  et  
  confronte, sur sa presse, aux encres et au papier.
  Même si toute une part de son uvre est constituée 
  de petits, voire de très petits formats, toute 
  une partie de son travail  ne peut s'épanouir  
  qu'aux dimensions de l'oriflamme ou de la bannière, 
  dont elle peaufine  savamment les présentations. 
  Cette prise en main de lespace par la gravure, 
  comme elle la conçoit, est plus encore peut-être 
  un travail sur la lumière, la transparence et 
  surtout la transfiguration du matériau de départ 
  auquel elle reste dune totale fidélité : 
  le papier. Au fil de ses explorations  et de ses 
  amitiés, elle a rencontré, le mot n'est 
  pas déplacé, un "presque papier", 
  le non-tissé des blouses stériles en usage  
  dans les hôpitaux. Cette cueilleuse  insatiable 
  quest Maya s'en est saisi pour bien évidemment 
  les transfigurer sur sa presse, où grâce 
  à de subtiles dispositions, à des passages  
  bien calculés, elle les a "encrées" 
  pour en faire de somptueux vêtements, chasubles 
  ou dalmatiques, apprêtées  pour de 
  mystérieuses fêtes, vêtures gracieuses 
  ou icônes  d'un culte dont on aimerait être 
  le fidèle, ou mieux encore le desservant, afin 
  de pouvoir s'en parer pour une métamorphose indicible.
  Cette nouvelle rencontre a tout naturellement rejailli 
  sur ses autres travaux. Ils s'en sont trouvés 
  enrichis de jeux de trames et de matières, de 
  superpositions d'encres plus subtiles, de surfaces moins 
  directement données à voir que données 
  à deviner puisqu'elles enferment désormais 
  une "lumière fertile".
 
  
  Sylvie Blottière-Derrien 2002
  La 
couleur du temps. L'origine mais aussi l'originalité 
de la gravure de Maya Mémin réside moins 
dans une technique spécifique et les virtuosités 
parfois vaines que cela suppose que dans la nature même 
des matrices qu'elle utilise. Après avoir longtemps 
travaillé à partir des formes en zinc 
que produisent les couvreurs (gouttières, faîtages 
etc.) d'où elle avait su extraire un univers 
personnel et puissant, voici qu'elle s'intéresse 
à ce qui touche d'on ne peut plus près 
aux constituants de la gravure puisqu'il s'agit du papier 
lui-même et des moyens modernes de l'impression, 
la plaque offset en particulier. C'est cette forme aux 
franges perforées qui sert de point de départ 
à une importante série de gravures sur 
papier Japon, des images qu'elle tire jusqu'à 
épuisement de la couleur. C'est l'emballage en 
papier tramé dans lequel ont voyagé les 
belles feuilles de ce même papier dont elle use 
pour un autre ensemble qui tend davantage vers le monochrome 
dans un identique souci d'épuisement de la source 
colorée. A la différence des grandes gravures 
sombres des années précédentes, 
c'est aujourd'hui la couleur qui prime. Néanmoins, 
la saturation qui dominait dans les premières 
séries a récemment cédé 
la place à l'idée de déperdition. 
De la joyeuse acidité de ces drapeaux qui claquaient 
leurs couleurs (comme on dit "claquer son fric"), Maya 
Mémin est passée à l'utilisation 
acharnée du peu qui reste -et moins encore à 
chaque tirage. Alors qu'on aurait pu penser à 
une fascination grandissante pour la peinture, c'est, 
tout au contraire, dans l'admirable méfiance 
vis à vis de l'objet unique et grandiloquent, 
dans la légère et généreuse 
discrétion du multiple (et non pas évidemment 
de l'identique) que s'inscrivent les derniers travaux. 
C'est l'énergie d'un processus toujours mené 
jusqu'à son terme, la dépense définitive 
de ce que permet la matrice qui importent et non le 
souci frileux des exemplaires numérotés. 
Mais la détermination sans fioritures de l'attitude 
n'exclut pas, loin s'en faut, des références 
complexes et subtiles à certains aspects du modernisme. 
Ainsi, l'usage fréquent du carré allié 
à la vibration colorée si particulière 
que permet la gravure peut faire songer à Josef 
Albers autant qu'à Mark Rothko. Cependant il 
n'est pas inutile d'y associer ces carrés d'offrandes 
qu'utilisent certains rituels hindouistes à des 
fins de communion avec les ancêtres, ces papiers 
produits en quantité puis griffonnés de 
messages ou bien brûlés. Et c'est en effet 
bien cette beauté indiscutable et volatile qui 
caractérise les dernières gravures de 
Maya Mémin, non pas la beauté concentrée 
dans un unique magnifié mais plutôt celle, 
circulante et multiple, qui s'inscrit dans ce temps 
qui épuise les formes et leur confère 
toute l'émotion qui sied à l'éphémère. 
Jean-Marc Huitorel 1995.